ACTU : JOURNÉE NATIONALE DE PRÉVENTION DU SUICIDE

ACTU : JOURNÉE NATIONALE DE PRÉVENTION DU SUICIDE

5 FÉVRIER 2020 : JOURNÉE NATIONALE DE PRÉVENTION DU SUICIDE 
THÈME : PLAIDOYER POUR UNE PRÉVENTION PARTAGÉE 

Si les mauvaises nouvelles semblent s’accumuler comme à Gravelotte, les acteurs de la prévention en suicidologie peuvent se réjouir des derniers décomptes macabres des chiffres des suicides en France, qui se fixent ces derniers temps à la baisse. Mais dans ce domaine, seule une estimation se veut un juste reflet : 10 000 morts par an, en France. Comme si un chiffre rond rendait l’insupportable de la souffrance des Français morts par autolyse moins insupportable aux endeuillés.

« La mort d’un homme c’est une tragédie, la disparition de milliers de gens, c’est une statistique » me glissait une collègue des Balkans qui s’y connaissait en suicide des peuples.

Alors, pour 2020, que penser ?

Comment sortir d’un « plaidoyer » comme si les suicidants, suicidaires, les presque-à-bout continuaient à être des coupables que nous nous devions de défendre devant des juges ? La Révolution Française a dépénalisé le suicide pourtant. Mais peut-être faut-il encore et encore expliquer inlassablement que penser à s’infliger sa mort n’a rien d’anodin, que toute souffrance est à entendre, quelle que soit la voix (voie ?) qu’elle emprunte ?

Et comment aller à rebours de notre société qui valorise l’individuation à tout crin (ce qui a aussi de bons côtés, Hannah Arendt avait bien raison, le progrès a toujours deux faces, à la Janus) et ne pas rester dans le premier sens du mot partage qui va plus vers une division d’un élément en plusieurs portions en vue d’une distribution ? La suicidologie ne peut être affaire d’atomes circulants chacun sur son orbite ! Quant au mot prévention, il nous renvoie aussi à une course effrénée pour arriver le premier (comme une de ses étymologies l’indique).

L’enjeu est un enjeu global, le suicide étant multifactoriel et bien malin celui qui en sera un exact

préventeur à notre époque des réductions des risques psycho-sociaux, miroir aux alouettes.

« Sois sage ô ma douleur et tiens-toi plus tranquille » n’est plus entendable dans cette décennie, nous dit-on. Baudelaire resterait là un homme du 19ème.

Pourtant, répétons à l’envi, « être fort, c’est savoir demander de l’aide ».

Ainsi, 2020, pourrait être l’année du souci de l’autre, du développement de l’empathie et pas besoin d’avoir lu tout Frans de Waal dans le texte. Il nous faudrait pour cela tous sortir de derrière nos écrans, réinvestir les espaces publics, se désensabler les esgourdes, se « sentinelliser » même si ce terme s’emprunte au guerrier alors qu’il nous viendrait de l’italien, sentir, écouter, entendre !

Et une fois, dépisté-e, repéré-e, le (la) souffrant-e, celui (celle) qui n’en peut plus d’attendre avec son mal-être, prêt-e à succomber à ses pensées d’en finir, encore faut-il qu’une chaîne de l’espoir, du prendre soin, du soin, se maille, se tricote, se réseaute pour néologiser vrai. Après le vivre ensemble (qui n’a plus vraiment la côte), le prendre soin ensemble (qui ne l’aura peut-être jamais). Mais la société, la bonne société paraît bien décidée face à la santé mentale, la maladie mentale (puisqu’il nous est enseigné, que 9 suicidés sur 10 souffraient d’une maladie mentale au moment du passage à l’acte désespéré), à continuer à vivre comme souffrant, elle, de fièvres obsidionales récurrentes.

Alors, oui, faisons en sorte que 2020, année au style graphique si propret, permette de continuer de mettre en place une chaîne de la sentinelle, aux professionnels de santé mentale et permette de ne pas tomber dans l’épuisement compassionnel, le traumatisme vicariant. Car c’est à notre société toute entière à se soucier des autres (et non l’Autre, point de divin mais de l’humain, un être doué de sens et de sensibilité).

Comment ne pas finir ces quelques phrases en relatant les expériences tentées dans certaines facultés de médecine françaises où l’on vise à développer l’empathie des carabins en leur faisant commenter des tableaux de grands maîtres ? Chacun y voit ce qu’il veut (« ceci n’est pas une pipe » n’est-ce pas?). On s’entendrait mieux même et surtout si on ne voit pas les choses de la même façon…

Certes l’Art ne sauvera pas tout le monde mais chacun aura à trouver son Styx pour un mieux-vivre, un mieux-être, une régression de sa vulnérabilité, tel Achille avec ou sans son talon.

Dr Eric Boularan, formateur national à la prévention du risque suicidaire.