DOSSIER : LES PERSONNES ÂGÉES

DOSSIER : LES PERSONNES ÂGÉES

Le suicide de nos aînés : prévenir le tabou et le passage à l’acte

En 1984, Moscovici considérait que « La vieillesse est une construction. Elle se construit sur une réalité qui comprend des éléments d’ordre biologique, démographique, politique, économique… mais elle se construit aussi sur un imaginaire culturel de représentations ».

L’Histoire montre qu’en fonction du contexte, de ses valeurs et du modèle d’homme idéal qu’elle se fixe, chaque société génère une représentation plus ou moins positive de cet âge de la vie. Au fil du temps, en Occident, la vieillesse a pu être perçue comme la période de la sagesse et du nécessaire respect mais plus souvent, sans doute, elle a été honnie et vue comme infâme et méprisable.

Or, le jugement porté sur le suicide est lié à une conception de la place de l’individu dans la société. La représentation que la société a des personnes âgées a donc nécessairement un impact sur la représentation que cette même société a du suicide de nos aînés.

Aujourd’hui, les personnes âgées de plus de 65 ans représentent la tranche d’âge de la population la plus à risque de décès par suicide. Le suicide des séniors est donc un véritable problème de santé publique et il apparait nécessaire de changer notre regard sur ce phénomène afin de développer une stratégie de prévention plus efficace.

Chiffres et spécificités

17% des suicides dans le monde concernent les plus de 65 ans.

Dans 75 % des tentatives de suicide des personnes âgées il s’agit de la première fois.

En France, le suicide des plus de 65 ans est responsable de 3 000 décès par an. Cela représente près de 30% des décès par suicide. Ce chiffre est même sous-évalué puisque de nombreuses causes de décès, comme l’arrêt volontaire d’un traitement, ne sont pas considérées comme des suicides et n’entrent donc pas dans les estimations officielles. 

Les personnes âgées qui souhaitent mettre fin à leurs jours y parviennent bien souvent.

En effet, Le ratio tentative de suicide/suicide est extrêmement bas, de l’ordre de 4/1 chez les personnes âgées tandis qu’il est de 200/1 chez les personnes de moins de 25ans.  

Le suicidant âgé est souvent très déterminé, le passage à l’acte est fréquemment préparé avec soin et les moyens utilisés sont souvent radicaux : pendaison, intoxication, défenestration, noyade, arme à feu… Tout ceci explique un taux de suicide abouti particulièrement inquiétant.

On se trouve également confronté à un défaut de signalement des intentions suicidaires et/ou difficultés de l’entourage ou des professionnels à questionner le risque suicidaire des aînés.

Par ailleurs, on constate que :

  • Le taux des tentatives de suicide diminue fortement avec l’âge ;
  • Le taux des suicides augmente fortement avec l’âge.
  • Les personnes qui se suicident sont :

Majoritairement des hommes : 2/3 des personnes âgées qui se suicident sont des hommes.

Seuls. Ils sont veufs et n’ont pas d’enfant proche de chez eux. Ils n’ont pas de vie sociale car ils sont à la retraite et n’ont pas d’activité sur l’extérieur.

A 90% des personnes souffrant de dépression et non d’autres pathologies psychiatriques.

Les facteurs de risque

L’un des principaux facteurs de risque est la dépression qui est présente chez 90% des plus de 65 ans décédés par suicide. Celle-ci majore le risque entre 4 et 7 chez les personnes âgées. La dépression est sous diagnostiquée et donc sous-traitée. En effet, dans 60 à 70% des cas, les symptômes dépressifs ne sont pas diagnostiqués ou sont négligés. On estime que la dépression touche 15 à 25 % des personnes âgées.

Symptômes de la dépression (de la personne jeune à la personne âgée)

  • Anxiété.
  • Pessimisme : souvent en lien avec l’anxiété. La personne voit le mauvais côté des choses. Elle voit ses difficultés plus que les choses positives qu’il y a dans sa vie. Elle s’imagine que chaque situation va mal tourner, que les maladies vont empirer…
  • Dévalorisation : la personne manque de confiance en elle, a une vision négative d’elle-même et se juge méchamment.
  • Anhédonie : Il s’agit de la perte du plaisir. La personne prend moins de plaisir à déguster sa pâtisserie préférée, à voir les membres de sa famille, à imaginer ses prochaines vacances…
  • Troubles neurovégétatifs et ralentissement psychomoteur : la personne n’a plus d’appétit et perd du poids, elle a des troubles du sommeil (dort trop ou pas assez, fait des cauchemars), elle est moins vive d’esprit et moins dynamique.

Symptômes de la dépression chez la personne âgée

  • Hypocondrie : on a tous déjà eu mal au ventre lors d’un stress, ou été fatigué un jour de déprime. La personne âgée en dépression peut avoir des douleurs, des symptômes de maladie physiques.
  • Repli sur soi : la personne s’isole. Elle ne prend plus la peine de téléphoner à ses enfants, d’aller saluer son amie du quartier
  • Impression d’être inutile : sensation de vide intérieur, impression que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue.
  • Angoisses matinales : les angoisses sont plus fortes au matin et diminuent au cours de la journée. 
  • Troubles de la mémoire : ces troubles ne sont pas à mettre en rapport avec une démence ou avec la maladie d’Alzheimer. Cela est en lien avec le fait que la personne âgée dépressive ne s’intéresse plus aux choses et ne prend pas la peine de les écouter et de faire le processus de les retenir.
  • Dépendance : la personne âgée dépressive peut ne plus être capable de sortir seule, de faire ses courses ou même de se laver.

Manque de relations sociales : nombreuses sont les personnes âgées à ne pas avoir d’enfant ou de petit-enfant proche géographiquement. Ces personnes se retrouvent parfois privées de relations familiales. Mais elles n’ont également plus de relations professionnelles et ont parfois également des difficultés à avoir d’autres relations sociales. En effet, les personnes âgées sortent moins et rencontrent donc moins de personnes avec qui se lier et échanger.

Poids des événements de la vie : quand on arrive à un certain âge, il est fréquent d’avoir vécu des choses douloureuses qui peuvent continuer à nous hanter. Par ailleurs, en vieillissant, d’autres événements peuvent avoir des conséquences sur notre moral : le passage à la retraite, un déménagement pour un domicile plus petit, le décès des amis du même âge ou leur entrée en institution…

Facteurs somatiques : douleurs, insuffisance cardiaque, cancer, BPCO, troubles neurologiques

Déclin et altérations fonctionnelles : mobilité, sens

Facteurs cognitifs : difficultés cognitives, troubles exécutifs, démences (+ le diagnostic est précoce plus le risque est important / risque majoré dans les 3 mois après l’annonce de la maladie), altération des prises de décision (Prise de mauvaises décisions), biais perceptifs (vision négative ou pessimiste)

Troubles de l’adaptation avec rigidité, méticulosité, obsessionnalité.

Il faudra également rechercher et traiter si nécessaire un trouble mental (troubles de l’humeur, entrée dans une psychose).

Deuil : la perte de l’époux ou de l’épouse est une épreuve que vivent de nombreuses personnes âgées. Mais il y a également la perte d’amis proches ou de frères/sœurs ainsi que parfois, malheureusement, le deuil d’un enfant ou d’un autre proche.

Perte d’autonomie et problèmes de santé : malheureusement, le nombre de pathologies augmente avec l’âge et les douleurs aussi. Les personnes âgées souffrent plus régulièrement, peuvent avoir des difficultés à se déplacer à cause de l’arthrose ou de problèmes cardiaques, sont parfois amenées à accepter des diagnostics comme celui de la maladie d’Alzheimer.

Manque d’estime de soi.

Problèmes financiers : Vieillir peut entraîner une baisse des revenus conséquente, suite à la retraite notamment. Par ailleurs, si la personne a des problèmes de santé, elle peut être amenée à dépenser beaucoup d’argent dans les soins ou dans les services (payer quelqu’un qui fait ses courses ou entretient son jardin). Le fait de devoir maîtriser ses dépenses et ne pas s’offrir ce qui nous fait plaisir ou ce qui ferait plaisir aux petits-enfants peut être source de tristesse. Et le fait de ne pas savoir comment on va finir le mois est source d’angoisse. Tout cela favorise le développement d’une dépression.

Et en EHPAD ?

Selon Geneviève LAROQUE dans son article intitulé Vivre et mourir très âgé en maison de retraite, un défi « La sortie normale de ce type d’institution est bien le décès. Cela signifierait-il qu’admis dans ce lieu on n’a plus qu’à y mourir, à s’y laisser mourir, à y être abandonné pour mourir, ce qui expliquerait que la définition-repoussoir de ces établissements, lorsqu’on veut en stigmatiser le manque de qualité et d’humanité soit : c’est un mouroir. » Jusqu’à lors « Les établissements souffrent du désintérêt de la société à l’égard des Grands Vieux Fragiles condamnés (inconsciemment, certes !) supposés inutiles voire superflus. »

Crise sanitaire liée à la Covid-19

Le confinement est rapidement devenu nécessaire dans les EHPAD au regard du risque de mortalité pour les plus fragiles.

Des exceptions au confinement strict ont été aménagées pour les situations de fin de vie et de détresse psychologique (et ce dès l’origine). De même, le confinement en chambre n’a jamais interdit le maintien d’activités de lien social au sein de l’établissement.

Compte-tenu du retentissement délétère du confinement du point de vue psychologique et physique pour de nombreux résidents,  quelques ajustements aux mesures prises ont été mises en place suite au « déconfinement » du 11 mai dernier : le retour des familles, voire des bénévoles, est aujourd’hui permis mais doit être préparé au sein de chaque établissement (protocole spécifique).

Enfin, pendant ces deux mois, les établissements ont veillés à ce que leurs résidents gardent malgré tout un lien étroit avec leur famille, grâce notamment à l’utilisation des nouvelles technologies. C’est le cas par exemple de l’EHPAD Beau Soleil de Mours-Saint-Eusèbe, dans la Drôme, qui a permis des rencontres en visio-conférence via une tablette ou encore l’édition d’une gazette hebdomadaire alimentée en ligne par la famille.

Depuis le 1er mars 2020, le nombre de décès Covid dans les hôpitaux atteint 17342. Dans les établissements sociaux et médico-sociaux, dont les EHPAD, 10187 morts ont été comptabilisés depuis le début de la crise. En Nouvelle-Aquitaine, au 16 mai, 116 établissements sont concernés par une situation de Covid-19 confirmée ou suspecte parmi des résidents ou le personnel et 127 personnes sont décédées.

En conclusion, cette période si particulière et inédite que nous vivons actuellement  avec le Covid-19, et les mesures gouvernementales qui en découlent, va probablement bousculer sur le long terme la représentation que notre société a de nos aînés et sur la manière dont nous prenons (devons prendre) soin d’eux… Ou du moins mettre les conditions de vie de ces personnes âgées, voire très âgées, sur le devant de la scène (confort, dignité, absence de douleur psychique ou physique, etc.) ; ces éléments étant prépondérant quant à la perception de sa qualité de vie qu’une personne peut avoir et ainsi avoir un impact majeur sur la présence ou non d’idées suicidaires.

La question de la fin de vie assistée

Depuis quelques années évoquer la fin de vie est moins tabou et la fin de vie assistée est devenue un débat de société particulièrement important qui peut résonner pour certaines personnes atteintes de maladies incurables. La loi Leonetti de 2005 a été complétée pour devenir la loi Claeys-Leonetti le 2 février 2016, la France a donc autorisée certaines pratiques sur la fin de vie assistée. Si l’euthanasie est, aujourd’hui, toujours interdite, la sédation profonde est autorisée sous certains critères. Si le code pénal sanctionne le fait de provoquer directement la mort, l’obstination déraisonnable (autrement dit l’acharnement thérapeutique) est également refusée par la Loi. Ainsi, l’abstention thérapeutique, qui peut s’apparenter à une forme passive d’euthanasie, est, elle, légale.

Qu’en est-il de l’aide au suicide?

La Loi Claeys-Leonetti prévoit la possibilité d’un double effet, c’est-à-dire la mise en place de traitements antalgiques et sédatifs qui seraient nécessaires au soulagement d’un patient en fin de vie – même s’ils peuvent avoir comme effet de raccourcir son espérance de vie.  Et elle autorise la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès et l’arrêt de tous les traitements de maintien en vie, en cas de souffrance réfractaire chez une personne en phase terminale, ou si le choix d’un refus de traitement de maintien en vie pour une personne en soins palliatifs risque de causer une souffrance insupportable. 

En France, la question du suicide assisté est donc compliquée et l’éthique bousculée. La dignité, le libre-arbitre, la morale, la religion, s’emmêlent et brouillent les réflexions… La vraie question ne serait-elle pas, en fait, celle des soins palliatifs et s’ils sont à la hauteur dans le soulagement des douleurs du patient et dans l’accompagnement de leurs proches ?

Recommandations et pour aller plus loin

Il n’est pas nécessaire de présenter tous ces symptômes pour considérer qu’il y a un risque suicidaire. Il est important de prévenir le médecin traitant dès l’apparition d’un ou plusieurs des symptômes listés. 

Nécessité de questionner directement – Ce n’est pas parce que la personne est âgée qu’il est « normal » qu’elle envisage sa mort. Il faut savoir s’il s’agit d’un questionnement existentiel lié à l’âge ou d’une intention suicidaire.